Pour bien comprendre l’importance prise actuellement par le développement durable en alimentation animale, il faut remonter à la fin des années 1990 marquée par la crise de la vache folle. Véritable crise éthique et économique, cet événement a fait prendre conscience au consommateur que son alimentation avait un impact sur sa santé et sur son environnement. Ce dernier a découvert la réalité des pratiques d’élevage et de production animale.
Une crise sanitaire et une perte de confiance
Cette crise, extrêmement médiatisée a donné lieu à une perte de confiance du consommateur dans la production animale et a modifié sa perception du monde de l’élevage. Ce dernier a eu besoin de preuves de traçabilité et de réassurance sur la sécurité des aliments qu’il consomme.
La sécurité sanitaire en premier lieu
En réponse à cette crise sanitaire, le début des années 2000 a donc été marqué, en Europe, par la mise en place de politiques européennes visant à garantir une sécurité sanitaire et alimentaire pour tous les citoyens. Ainsi, une traçabilité tout le long de la chaîne alimentaire, de la fourche à la fourchette, a été mise en place dans les pays de l’Union Européenne et l’Agence Européenne de la Sécurité Alimentaire a vu le jour. Les opérateurs, tout au long de la filière alimentation animale, ont déployé des démarches de qualité et d’hygiène permettant de produire des aliments à la fois sûrs et traçables.
Les demandes des consommateurs en 2020 : vers du développement durable
La sécurité alimentaire est désormais acquise pour le consommateur qui entend consommer des produits sûrs pour sa santé. Depuis environ cinq ans, une mutation forte autour du développement durable du modèle agroalimentaire actuel se dessine. La population ne s’intéresse plus seulement à la sécurité sanitaire des aliments qu’elle consomme. Elle intègre désormais son alimentation dans une réflexion globale à la fois éthique et environnementale.
Environnement écologique
Les problématiques relatives à l’environnement occupent la une des médias : l’impact du réchauffement climatique pour les générations futures ; l’emploi des pesticides dans les cultures et leur impact sur la santé ; la pollution des terres et des océans par les rejets sous toutes leurs formes : pollution par les emballages, par les nitrates ; le gaspillage alimentaire face aux problématiques d’obésité dans les pays développés et à la faim dans certains pays en voie de développement.
Ces sujets interrogent les consommateurs sur leurs comportements et leurs choix alimentaires. L’hypermédiatisation a donc joué un rôle phare dans l’apparition des nouvelles attentes sociétales en lien avec le développement durable. Les citoyens ont pris conscience de leur responsabilité et leur rôle individuel face à ces problématiques de société. 93% des citoyens européens considèrent le changement climatique, comme un grave problème et ont déjà pris au moins une mesure pour lutter contre ce dernier.
Les conditions d’élevage
L’environnement lié aux conditions d’élevage et à la production animale, ensuite, a pris une part considérable dans la définition du choix alimentaire. Les associations liées à la cause animale et leurs opérations « choc », ont modifié la perception de nombreux citoyens, au regard des conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux. Le bien-être des animaux, tout au long de leur vie et l’absence de douleur a pris une place croissante dans les attentes sociétales, se répercutant ensuite dans les choix de consommations alimentaire. Ethique, bien-être et développement durable sont au cœur des préoccupations des citoyens. Selon une étude menée en 2019 par l’ONG CIWF France et l’Ifop, 85% des français se déclarent prêts à consommer moins de viande et à privilégier une viande plus chère issue d’élevages plus respectueux du bien-être animal.
Des exigences qui se transforment en comportements
Ces attentes sociétales font naître de nouveaux comportements autour du développement durable, en lien avec l’alimentation et la production animale
Une histoire de génération ?
Aujourd’hui l’alimentation de nombreux citoyens, particulièrement, les « millénials » : tranche d’âge 15-35 ans, rime avec éthique. L’alimentation et la consommation n’ont plus une simple fonction de nutrition, elles s’inscrivent dans un mode de vie et un comportement. Désormais, les consommateurs ont de nouvelles exigences sur l’impact environnemental lié à la production d’aliments, sur les modes de production, la condition animale ou encore la composition des aliments. Ces nouvelles attentes sociétales modifient les façons de consommer et orientent les citoyens vers un développement durable de la consommation. Ainsi 7 français sur 10 déclarent aujourd’hui consommer des produits issus de l’agriculture biologique tous les mois et 17% en consomment quotidiennement. Quant aux flexitariens, ils représenteraient plus de 20 millions de personnes en France.
Ou des mutations de sociétés ?
Mais ces nouvelles attentes sociétales, modifiant les habitudes de consommation, sont également trans-générationnelles et touchent également toutes les tranches d’âges, incluant même les plus âgés qui plébiscitent circuits courts producteurs-consommateurs et cuisinent des produits « sains ». Ces consommateurs sont sensibles à la provenance et à la qualité des produits consommés.
Ces comportements alimentaires avertis remettent en cause les pratiques de production traditionnellement utilisées lors des précédentes décennies et engagent des changements profonds autour du développement durable. Ainsi en 2017 la pétition pour l’interdiction de l’emploi du glyphosate en Europe a recueilli 1.3 millions de signatures. Mettent la problématique de l’emploi des pesticides au cœur du débat public.
Le pacte vert pour l’Europe: une politique ambitieuse d’ici 2050
Face aux nouvelles attentes sociétales des citoyens, la politique économique doit s’adapter pour pouvoir faire émerger des solutions orientées vers le développement durable, tout au long de la filière alimentaire, pour résoudre les problématiques clés impactant les générations futures.
27 axes de progression pour une agriculture durable et en phase avec les attentes sociétales
La Commission Européenne a publié, le 20 mai 2020, sa nouvelle stratégie : « de la Ferme à la Fourchette », dans le cadre du pacte vert pour l’Europe.
Cette nouvelle politique économique et écologique, ambitieuse vise à favoriser le développement d’une alimentation plus saine, et dessine les grandes lignes pour un développement durable de l’agriculture avec un premier cap fixé à 2030. Une échéance, plus long terme est fixée à 2050 avec un objectif audacieux de neutralité climatique sur le territoire européen. La stratégie décline ainsi 27 axes visant à transformer le système de production alimentaire actuel dans les années à venir, en ciblant toute la chaîne alimentaire depuis la production agricole primaire jusqu’au consommateur final. Les attentes sociétales font désormais partie intégrante de cette politique orientée vers le développement durable global.
Les mesures à retenir
Parmi ces axes, nous pouvons garder plus spécifiquement en tête :
- une réduction de l’usage des pesticides
- une réduction d’au moins 20 % de l’utilisation d’engrais, incluant les rejets environnementaux liés à la production animale
- une réduction de 50 % des ventes d’antimicrobiens utilisés pour les animaux d’élevage et l’aquaculture
- une surface de 25 % des terres agricoles en agriculture biologique (contre 8% actuellement)
- l’amélioration du bien-être animal dans toutes les étapes de la production animale, à travers des réglementations couvrant également le transport et l’abattage des animaux.
- Le développement durable de l’aquaculture
- Une réduction du gaspillage alimentaire (20% de la nourriture étant jetée actuellement en Europe)
La promotion de l’innovation
L’UE entend favoriser l’innovation sur ces thématiques clés, grâce à un financement massif, de la recherche et du développement, de l’ordre de 10 milliards d’euros. L’étude du microbiote, les sources alternatives à la protéine issues des plantes, des insectes ou encore le développement des ressources issues des océans, seront plébiscités.
La production animale saura-t-elle s’adapter à l’enjeu du développement durable ?
Au regard des nouveaux modes de consommations et des politiques économiques qui se mettent en place, les opérateurs de production animale disposeront de solutions permettant de relever les défis environnementaux de demain et de répondre aux attentes sociétales des consommateurs autour du développement durable.
Réduire le recours à l’utilisation des médicaments
En production animale, la démédication est un sujet qui n’est pas nouveau. Cela n’enlève pas pour autant la difficulté à relever ce challenge. La lutte contre les résistances aux antibiotiques en élevage est l’exemple qui arrive en première position dans les esprits mais la problématique est plus large. Pour faire coïncider démédication et bonne santé, plusieurs leviers d’actions existent :
- Mesures préventives
- renforcement des défenses de l’animal
- alternatives à base d’extraits de plantes.
Un développement durable et éthique pour le bien-être animal
Conditions d’élevage, transport, abattage : tous les maillons de la chaine sont pris en considération. Les moyens mis en œuvre pour favoriser le bien-être des animaux évoluent et l’on voit apparaître en sus des obligations de moyens, des critères comportementaux visant à qualifier le bien être autrement que par des m2. L’animal de rente doit pouvoir exprimer un comportement le plus naturel possible pour s’approcher au plus près de son potentiel de production. Réduire les facteurs de stress présents en élevage ou donner à celui-ci les moyens de s’en affranchir constitue une piste de réflexion intéressante.
La gestion des rejets environnementaux
La gestion des rejets environnementaux est un des maillons clés du développement durable. Aujourd’hui, en Europe, le Pacte vert Européen, estime que 10.3% des émissions des gaz à effet de serre proviennent de l’Agriculture dont 70% du secteur animal. CO2, méthane ou encore protoxyde d’azote, l’élevage va devoir contribuer à l’effort collectif. Que ce soit par une approche liée à l’efficacité alimentaire ou une analyse plus globale en cycle de vie, il faudra mettre en place les bons outils et les bons indicateurs qui valoriseront le travail des éleveurs et des opérateurs de la production animale.
Un véritable challenge pour les années à venir
Face aux nouvelles attentes sociétales des consommateurs, très prégnantes en Europe, le défi de l’alimentation des 9 milliards d’humains, à l’aube des années 2050, subsiste néanmoins. De nombreuses questions perdurent au regard du déploiement d’un nouveau modèle économique répondant un développement durable de l’économie : l’UE parviendra-t-elle à déployer sa feuille de route politique axée sur la durabilité et à en faire un modèle pour les autres continents, comme cela a été le cas, à l’aube des années 2000, pour la gestion de la sécurité alimentaire? Ce modèle économique intégrant le développement durable, pourra-t-il cohabiter avec la croissance de la population mondiale et l’accès à la protéine animale pour le plus grand nombre ? Tels sont les grands challenges pour la prochaine décennie.